Avant d'écrire

Écrire dans une nuit d'été... Je bois beaucoup de thé le soir, tout le monde va se coucher et moi je monte dans ma chambre où il fait trop chaud dans ces nuits d'été. Je lis Arthur Rimbaud. Je m'attable.
Dehors j'entends les grillons, le clocher du village qui sonne les heures et les demi-heures, parfois des voitures qui passent sur la route en contrebas. J'ai tiré les rideaux à cause des insectes, et il fait chaud; je ne peux pas voir au-dehors; je voudrais qu'il pleuve. Je voudrais qu'il pleuve comme seul l'été sait faire les pluies, je pourrais alors ouvrir les fenêtres sur la nuit et les parfums de la terre mouillée sous l'herbe sèche y monteraient. Toute la nuit je pourrais rêver d'une pluie qui dure la nuit.

Ce soir le disque clair de la lune est obscurci par les nuages, mais la pluie ne veut pas venir. Lorsque j'écarte le volet il fait très frais là, dans le noir, sous cette étrange lune, mon dos semble soudainement brûler sous l'air suffocant de la chambre; à la fenêtre me parviennent les senteurs d'un jardin humide...

Je peux me coucher à tout moment, il me suffit d'éteindre et le sommeil attendra peu – même si j'ai l'air d'écrire comme un enfiévré. Rien d'autre que moi pour me retenir, et il est si facile d'arrêter et feindre d'être sans remords: lorsqu'il s'agit de faillite on a toujours une excuse en remplacement d'une autre.

Les histoires ne m'intéressent pas, même lorsqu'elles sont bien emmenées. Ce que je veux, ce sont les sensations, les sentiments – du plus clair au plus noir - le mouvement, la vie; la poésie. Je cherche le langage, mien, celui par lequel je saurai dire le monde – c'est une langue qu'il faut se réinventer à chaque instant.

Je veux l'océan pour mes phrases. Je veux qu'elles puissent se dresser, furieuses et menaçantes, qu'elles emportent! et qu'elles soient calmes soudainement, lisses et rassérénantes comme sait l'être l'onde calme. Tout s'inscrit là: l'élan des vagues, l'écart des lames. Je veux ce rythme, qui seul se fraye un chemin dans les profondeurs; je veux l'océan pour langage, dire le monde ainsi, car le monde c'est la mer.

Il faut tout vivre en chaque acte. Il faut être clairvoyant. Il faut du courage. La clairvoyance est la seule qualité: la plus difficile. Il faut de l'audace. Et de l'orgueil, pour se redresser après chaque vague et défier – encore, encore – la suivante. Il faut être invincible par orgueil. Je ne veux pas toutes les expériences; je veux tout vivre.

Souvent je me perds, je m'égare, je m'éparpille, je me disperse. Car, si je veux, si je cherche un mien langage, je ne sais pas de quoi je vais parler. Je ne veux pas écrire, lorsque d'autres prétendent vouloir «être écrivain» et disent ce que je ne dis pas, que je ne dis jamais, que je ne peux pas dire: regardez-moi je veux écrire... et de s'agiter en pleine lumière braquée dans les yeux, lorsque le seul lieu possible est dans la nuit et l'observation patiente des étoiles – quelque chose pousse à s'aboutir, une fièvre qui veut qu'on se fouille, où trouver soi c'est trouver le monde. Les mots, les phrases, le texte, tout ceci vient peut-être, j'imagine comme pour d'autres une mélodie ou un coup de pinceau; pourtant rien ne dit que j'écris, je sais seulement que ma plus grande évasion a été intérieure, où la rêverie semblait intrinsèque. Ensuite la voix était là, aujourd'hui je sais qu'il est possible de l'apprivoiser un peu pour tenter de la faire porter hors du corps le mieux possible, voir si elle atteint cette communicabilité que j'ai parfois trouvée chez d'autres, faire qu'elle porte en résonances.

Je veux tout ça pour écrire.

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